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Lettre de Wissemburg

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Message par Napoleonswar Dim 30 Nov - 16:02

- Ière Partie -

24 Décembre 1793




Lettre de Wissemburg 6nuwxv



Ma bonne mère,

 Un an et trois mois. Voilà déjà un an et trois mois que nous avons souffert, vous et moi, de ce départ insensé. Depuis, je ne sais plus que penser de notre passé. S'il a seulement existé ou si cela n'était qu'un mythe que je me suis inventé. La République a fait de moi ce que vous redoutiez tant, ce que mon défunt père a haï si fermement. Vous souvenez-vous de ce bon colonel qui chez moi m'était venu chercher ? Il disait que l'on partait pour la gloire de la France, il disait qu'il s'agissait d'une cause noble. De cela je n'ai rien trouvé. Sa voix avait je ne sais quel tremblement qui sonnait le glas de nos ennuis. Il la connaissait cette cause et il savait, mieux que quiconque, qu'elle n'avait rien de noble.

 Un an et trois mois loin de vous. Loin des champs de blé dont les épis brillaient sous le soleil d'été, loin de nos couchers de soleil de Provence, loin de nos montagnes et de la petite cheminée grise. Elle illuminait les soirs d'automne lorsqu'on fuyait le vent et la pluie. Je sens encore la brise traverser les murs délabrés du château de notre père. Et la neige ? La neige, en revanche, je n'ai su l'oublier. Elle est continuellement présente ici, dans le pays des ennemis de la Nation. Elle s'accroche à nos chaussures en nous prenant l'âme avec toute sa froideur et son idiotie car voyez-vous, ma chère mère, la neige est ici éternelle.

 Le matin, je la vois parfois blanche d'une ironique pureté. Avant de la manger noire sous les armes, la poudre et les corps, de la rougir du sang des hommes qui dans un éclat absurde, défont la chair et les sens au nom de belles idées. Ces mêmes idées-là qui ont tué le petit Jean de Gréasque. Il n'avait pas encore dix-huit ans, je crois. C'est elles aussi qui m'ont pris mes colonels dans la fumée et les flammes, et ce bon curé réfractaire qui en secret nous donnait la communion, dans cette petite chaumière et ce champ de lavande.

 Ma bonne mère, oubliez la jeunesse et l'innocence de mes actes passés. La République a fait de moi un autre homme, dans une autre époque, dans un autre lieu avec un autre froid pour me torturer. Il y a de cela une semaine, peut-être deux, je tremblais une fois de plus dans les rangs de la République. J'ai tenté, à plusieurs reprises, de voir de la beauté en nos actes. J'ai pensé qu'il fallait servir ce nouvel élan de liberté que je n'avais jamais désiré autrefois, et qui semble s'imposer à moi comme on l'aurait imposé à l'évêque de la cathédrale d'Orange. Mais j'ai bien compris que cette liberté est vaine et que les crimes que nos mains sont forcées à commettre dans un vacarme effroyable, seront un échec pour notre histoire.

 J'ai beaucoup prié. Mais depuis quelque temps, j'ai cessé. Dans cette cruauté immonde, je n'ai jamais vu Dieu. J'ai vu le chaos et l'affrontement de l'acier dans la chair, j'ai vu les hussards fendre pitoyablement les corps de ces autrichiens qu'on agenouille dans la boue et j'ai vu le désastre de toute l'humanité, l’effondrement des idées et des valeurs pour lesquelles j'ai accepté de me battre. Sachez madame, que je froisse la terre avec dégoût, fatigué et humilié du sang qui a coulé par mes mains au nom de la grandeur de notre Constitution. Au diable Robespierre et ses discours, le bon roi Louis XVI ne peut-il pas à nouveau régner et rétablir l'ordre tel que nous l'avons connu ? Croyez bien ma tendre mère, que je serais fusillé sans lever la tête si l'on me surprenait ces mots aux lèvres.

 Et aujourd'hui ? Je tremble encore. J'ai peur, ma mère. Si peur de ne jamais revoir le coucher de soleil, de ne plus jamais sentir notre lavande au dessus de la cheminée.

 L'autre jour, nous avons combattu. Nous sommes en route vers Wissemburg, je crois. C'est le Général Hoche qui nous commande, vous savez, celui qui nous rendait souvent visite au château. Ainsi l'autre jour, disais-je, j'ai vu deux lions s'élancer, l'un contre l'autre, dans un rugissement tel qu'il ne pouvait venir que de l'Enfer. Des heures durant, les éclats de nos canons répondaient au désastre des ennemis de la République. Et puis, un projectile élancé. Un commandement qu'on entend au loin, caché par la tempête et le tambour, une baïonnette effrénée et la chair déchiquetée. J'ai battu la retraite et avant de fermer les yeux, j'ai vu le drapeau rouge et bleu se briser lentement sur le sol. Personne ne l'a relevé. Il n'y avait plus personne pour le faire.

Ma chère mère, je vous embrasse.

Voilà encore une veille de Noël que je ne passerai à vos côtés. Dieu vous garde.


Dernière édition par Napoleonswar le Dim 30 Nov - 16:04, édité 1 fois

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Message par Napoleonswar Dim 30 Nov - 16:03

- IIème Partie -




26 Décembre 1793





Lettre de Wissemburg 6nuwxv



Ma bonne mère,

 J'ai cru bien longtemps ne plus savoir vous écrire. Si j'ai repris ma plume il y a deux jours, c'est parce que j'ai besoin de me sentir votre fils à nouveau. J'ai noyé mon âme et mon identité dans le sang, et je ne sais plus qui je suis à présent. De vagues souvenirs me reviennent et contrastent avec l'horreur que mes mains accomplissent ici.

 Je me suis encore souvenu hier de la jeune comtesse Anne de Savoie que notre bon père avait fait amenée, dans notre plus beau carrosse, au bal de Noël 1791. J'ai revu un instant la prestance et l'élégance de ce corps sculpté par les anges, dont j'ai croisé le regard une seconde avant de ne plus jamais savoir m'en défaire. Sachez, ma mère, que nous avions le profond désir de nous unir devant le Roi. Sa belle chevelure blonde et son teint blanc me sont revenus par éclats, me vouant à survivre à cette guerre dans l'espoir de croiser à nouveau son regard et de sentir ce parfum exotique qui la caractérisait si bien, délice oriental. Au moment de mon engagement, j'ai cru maintes fois que la France ne valait pas la beauté de ses yeux. Mais pour ne point faillir à mon devoir, je lui ai promis mon retour. L'ayant enlacé une dernière fois, j'ai saisi mon fusil et je suis parti, sans me retourner.

 Nous nous sommes beaucoup écrits. Elle me racontait le tumulte à l'Assemblée Nationale à Paris et le chaos dans lequel notre pays se plongeait. Quant à moi, je lui envoyais des nouvelles de la noblesse de cœur de tous les soldats qui servaient notre cause, la grandeur de la France. Et puis parfois, elle me parlait de son envie de venir me rejoindre, de voyager, de vivre un instant, une seconde, un moment, une éternité.

 Le 29 Nivôse dernier, quelque chose a changé. J'ai reçu une lettre cachetée de sa mère, Marguerite de Savoie. C'est avec effroi que j'ai appris qu'à leur tour, les sans-culottes se sont emparés de leur château et de leur richesse. Après un long interrogatoire, ils ont amené Anne sur l’échafaud avec tous ses gens, dans une sérénité macabre. Sans trembler, sans faillir, avec l'immense courage que je lui connaissais, elle a accompli sans ouvrir la bouche les instructions des criminels. Puisse Dieu me pardonner de tout le malheur que la colère et la vengeance m'ont amené à répandre. Comprenez à présent, ma douce mère, que mon cœur ne peut plus régir mes actes.

 Hier, notre capitaine nous a chargé d’exécuter les prisonniers prussiens et bavarois de Wœrth-Frœschwiller que nous avions laissé sous la neige. Il nous a dit que la guerre contre les ennemis de la République n'acceptait aucune trêve, pas même en ce jour sacré. Au contraire, il s'agissait d'un honneur que de répandre le sang des ennemis de la Constitution. Comme nous n'avions pas suffisamment de munitions pour les exécutions, nous avons été contraints de les égorger. Nous campions en haut d'un plateau pour la nuit. Il s'est écoulé un véritable fleuve de sang. Face à ce spectacle atroce, il nous était interdit d'exprimer un quelconque dégoût. Je me suis mis à prier à nouveau, en silence, pour tous les deuils que je me suis refusé d'honorer.

 Je n'ai pas dormi cette nuit. J'ai beaucoup repensé à ces visages creusés par la fatigue, la faim et le désespoir, à leurs uniformes à la fois blancs et noirs, salis et trempés, comme pour nous rappeler que ce sacrifice n'avait rien de juste. Lors de l’exécution, j'ai croisé le regard d'un jeune homme qui gardait en lui l'élégance d'un prince, malgré sa mine défaite par le froid et les douleurs. Il semblait ne pouvoir qu'être bon. Quel âge avait-il ? Pas l'âge de mourir ainsi, quoiqu'il puisse être. Ses yeux pétillaient de fierté, il ne tremblait pas. Face à lui, même la ligne était épris d'une immense crainte à l'idée de ce sacrilège, ceux-là même qui ont laissé les révolutionnaires piller les chapelles de Provence ou fracasser les crânes des moines d'Auriol.

 Voyez l'armée de France qui agit pour sa Constitution, madame. Celle-ci est en marche vers Wissemburg où l'ennemi s'est retranché. Le général lui a exprimé sa confiance en montrant l'horizon autrichienne que nos baïonnettes fendaient, marquant l'histoire. L'armée de France a tué hier, l'armée de France tuera demain. Ainsi se résume la conquête de notre liberté.

Ma chère mère, je vous embrasse.


Dernière édition par Napoleonswar le Jeu 14 Sep - 0:06, édité 2 fois

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Message par Napoleonswar Dim 30 Nov - 16:06


- IIIème Partie -

27 Décembre 1793



Lettre de Wissemburg 6nuwxv


Ma bonne mère,

 Je n'ai de famille plus que vous, vous qui, seule, me rattachez encore à quelconques origines surnaturelles que je doute avoir réellement connues. La guerre a aujourd'hui encore appuyé sa sentence. Beaucoup de corps, beaucoup d'hommes, français ou coalisés, jonchent le sol de Wissemburg, terre désormais baffouée par la honte. Plusieurs de mes camarades y ont perdu la vie, je les ai vu mourir, impuissant, insensible. J'en ai détourné le regard, sans pouvoir leur dire adieu. J'en suis un parmi tant d'autres que la mort a oublié. Combien de temps cela va-t-il durer ? Au nom de quoi sommes-nous encore dans ce vacarme sordide, sans bouche pour décrire ce que nous voyons, sans oreille pour comprendre l'agonie de nos frères, sans même quiconque pour nous écouter. Avant de quitter la France, je n'aurais jamais su croire qu'elle est ici si cruelle, si inhumaine, si accablante.

 Le soleil s'est levé tôt ce matin. Ses rayons traversaient l'épais brouillard qui nous encerclait et qui faisait scintiller la couche de neige soigneusement posée sur le sol. Cette lumière était quelque chose de nouveau ici où les tempêtes de neige noircissent continuellement l'horizon. Elle m'a paru si belle, si pure. Elle m'a rappelé un instant la Provence en hiver, je me suis arrêté pour la contempler. Soudain, des coups de feu brisent le calme fin en un nouveau désastre. La terre se met à trembler. Un résonnement sourd succède aux tirs, de plus en plus bruyant, de plus en plus précis. Le brouillard empêche toute visibilité et pas un signe des éclaireurs. Je ne sais pas comment ils savaient qu'on campait là, mais ils le savaient et il nous fallait agir vite.

 Le général fait vibrer les tambours, former les carrés, il est terrifié, je le lis sur son visage. Le sabre doré dans la main droite, sur son grand cheval grisâtre, il reste élégant et sage, mais incertain. Le bruit sourd s'accentue chaque seconde un peu plus et nous secoue les entrailles. Combien sont-ils ? Trop nombreux, assurément.

 Des ombres apparaissent, des formes, des silhouettes brisent la nappe invisible et voilà une armée de cavaliers qui s'effondre sur nous, telle une vague immense contre un château de sable. Les fusils ripostent bruyamment, les baïonnettes au canon transpercent les flancs des chevaux et défont le splendide spectacle. J'ai senti le coude d'un jeune homme qui tremblait de peur, à côté de moi. Il m'a jeté un regard furtif et avec un semblant de courage, s'est élancé sur un hussard à terre, l'achevant à coups de crosse. Un autre hussard passe par-là et tend son bras que complète son sabre argenté, et d'un coup ferme tranche la gorge du fougueux républicain, vaincu. Éclaboussé de son sang, je n'ai su le pleurer, je n'avais plus de larmes à lui donner.

 Des heures durant, nos coups l'ont vengé. Je ne sais ce qui fait que je suis encore en vie. Peu m'importe à présent, il n'existe plus de valeur sur ce champ de cadavres, seul persiste un instinct animal qui me pousse chaque jour un peu plus à ce glorieux désastre. S'en allait alors une nouvelle armée, sans moral, sans idée et sans bonheur, guidé par le seul appel du sang.

 Voyez-vous ce petit bataillon bien téméraire qui souffre mais jamais ne s'arrête ? Voici la nouvelle avant-garde de l'Armée de la Liberté, fière, entêtée à s'enfoncer toujours plus dans ces terres inconnues, sans jamais jeter un regard en arrière. Et voilà que j'en suis, aveuglé par la haine. Le brouillard ? La neige ? La pluie ? Il n'existe plus rien de tout cela. Il n'existe que deux bêtes voraces et déchaînées à la recherche d'un pouvoir invisible, comme ces hyènes que le vieux précepteur me montrait, autrefois. Elles s'épuisent l'une contre l'autre, enfonçant chacune ses crocs dans la chair, épuisées mais jamais vaincues. Voilà leur force, car tels que nous sommes, soldats d'ici ou d'ailleurs, notre destinée est de nous battre à jamais, jusqu'à la fin, jusqu'à la mort.

Ma chère mère, priez pour moi, je vous embrasse.

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